mardi 11 mars 2014

L'exposition


Ouro Preto, "l'Or noir", a été classée au Patrimoine Culturel de l'Humanité par l'Unesco en 1980
L'église São Francisco de Paula (Ouro Preto)
"A tonga da mironga do kabulete": titre de la musique du compositeur brésilien Vinicius de Morais dont le titre c'est en nagô, langue africaine, et de termes plus ou moins magiques issus du candomblé et de la macumba. A lire et écouter!
Musée de l' Inconfidência (ancienne prison) à Ouro Preto/MG
L'homme et le pigeon
Machines à écrire dans une brocante à Minas Gerais
"Varais" de Ouro Preto
La Chapelle Santana, reconstruite par l'architecte Éolo Maia (Hotel Fazenda do Morro)
Fazenda Traituba (Cruzília/MG), une ferme de 200 ans
La maison du martyre  de l' "Inconfidência Mineira" Joaquim José da Silva Xavier (Tiradentes) à Ouro Branco/MG
Perroquet Ara Ararauna à la Fazenda Estalagem
La ville de Tiradentes/MG a préservé ses bâtiments coloniales du XVIII siècle
Les célèbres rues pavées de Tiradentes, une ville cerclée de montagnes
Au XVIII siècle, Tiradentes était la première ville au Brésil à utiliser la voie ferrée
Sertão de Minas, au fond, la Serra de Carrancas
Ypê Violette, l'arbuste typique de Minas Gerais
Les beaux paysages de Minas
Bateau propulsé par moteur de tracteur  (Capela do Saco/MG)
Le "Pesqueiro" à Capela do Saco
Va-t-il pleuvoir?
Est-ce que les "pingas" de Minas Gerais sont comme les "calvados" de la Normandie?
Aller à Caxambu/MG
Carte postale de Minas: Ypê Jeune
Les "saguis" à Paraty (Rio de Janeiro)
La ville de Paraty a été inscrite au Patrimoine de l'Unesco en 1984
Des petites iles à Paraty
L'ile du Catimbau (Paraty/Rio de Janiero)

Après 9 jours passés à pédaler, l'arrivée à la fin de la aventure sur a Route Royale

Mathieu Gillot, le capitaine, Viviane Fuentes, le stoker et le tandem

Journal do samedi 12/08 - 70,42 km pédalés

De Tiradentes à Ouro Branco

Tout a commencé par un e-mail de Mathieu : « Que penserais-tu de faire un voyage en  tandem? Ce sont dix jours à pédaler, une moyenne de 60 km par jour » (le lien de la Estrada Real- Route Royale - était en annexe). J’ai réfléchi de manière assez simpliste ...60 km par jour X 10 jours de pédalage? Banco ! Quatre jours plus tard...
Premier jour de voyage   
                                                           
Nous descendons du bus encore somnolents, le ciel semble être nuageux.   Il est 6h30 du matin, une brise glaciale et paresseuse se fige dans l’air. Timide, Ouro Preto nous sourit. Douze heures plus tôt, à 696 km de là, nous poussions notre tandem jusqu’à la gare routière de São Paulo, le Terminal Tietê, tout en craignant que la compagnie d’autocar qui nous emmènerait à Ouro Preto ne refuse de le transporter. A l’embarquement, nous sommes tombés sur un fonctionnaire bienveillant qui, sans broncher et sans se plaindre de la taille encombrante du vélo, l’a rangé  dans le coffre à bagages du bus avec l’aide de Mathieu – on a retiré les roues et le porte-sacoches afin de disposer le tandem du mieux possible.  Auparavant, nous pédalions le long du fleuve sur la Marginal Tietê (sans doute la partie la plus dangereuse du voyage), en grande tenue de cyclistes, portant trente-cinq kilos de bagages sur le dos, entre fringues, caméras, appareils photos, bidons d’eau, tente et autres sacs de couchage.  
Quelques jours avant, Mathieu avait lu sur Internet le récit de l’expérience d’Antonio Olinto ainsi que celle de José Maurício de Barros qui ont parcouru la Route Royale à vélo. Contaminé par l’idée, il n’a fait ni une ni deux, a imprimé leurs itinéraires et leurs conseils (contenus dans leurs sites respectifs) pour les étudier- ces imprimés nous serviraient de cartes routières. Et c’est comme ça que nous sommes partis de Vila Romana, le quartier dans lequel nous vivions à São Paulo. Sans GPS, mais avec une boussole, nous avons pris le chemin de la gare routière. Le voyage en bus allait durer 11 heures jusqu’à  Ouro Preto, point de départ de notre épopée à travers la Route Royale.
Je n’avais aucune idée précise des endroits où nous allions pédaler. Mathieu avait déjà étudié le parcours, dans son esprit il avait déjà le tracé, le fil conducteur de la « carte », du trajet à parcourir. Quant à moi, le tracé que j’avais à l’esprit ressemblait furieusement à l’image  d’une TV mal réglée. Ce que je savais sur la Route Royale était très vague. Quelques minutes avant d’embarquer en direction du Minas Gerais, assise dans un café, j’avais réalisé la taille du défi qui nous attendait.
Nous ne nous étions pas entrainés, l’échauffement se ferait directement pendant le voyage. Sur le plan sans relief, il semblait qu’il n’y avait que des descentes. Pra baixo todo santo ajuda, pra cima a coisa toda muda” (Dicton populaire brésilien “Vers le bas, tous les saints aident, vers le haut c’est une toute autre chose »). Bref, où ça descend, ça monte !  J’ai analysé les cartes du Vieux chemin de l’or qui se sont en partie révélées à moi. J’ai remarqué  les altitudes indiquées, constatant qu’il y avait beaucoup de collines, et plus de montées que de descentes....Mon estomac s´est noué.   
Je ne savais pas encore que les descentes seraient à couper le souffle.  Sur l’une d’elles, nous atteindrions 90km/h! J’ai décidé d’arrêter de penser pour ne pas être terrifiée, l’unique solution était de pédaler. Le jour suivant se lèverait de toute façon. Un voyage comme celui-ci exige d’être planifié. Il ne suffit pas de s’élancer et se laisser porter par le vent. Etant le stoker (celui qui est assis à l’arrière d’un tandem), je jouis d’une position spéciale: je ne guide pas. Les rênes du destin ne sont pas exactement entre mes mains. La soumission d’une geisha est une vertu importante dans ce cas, cela demande cependant du travail pour l’acquérir, c’en devient presque un art.
Le stoker doit avoir une confiance aveugle en son pilote, le “capitaine”, et d’ailleurs sans ironie aucune, c’est un sport qui peut être pratiqué en toute sécurité par des non-voyants en tant que stoker, sa fonction étant de pédaler, de faire corps avec la bicyclette, d’être l’extension du corps du capitaine et d’être dans le rythme du coup de pédale de celui-ci. Il ne guide jamais. Le guidon est juste un appui pour les mains, singulièrement utile dans les montées. Celui qui dirige donc le tandem, aucun doute là-dessus, c’est le pilote (et ceci n’est pas un pléonasme !), la majorité des prises de décision lui incombent. 

Je suis sourde à 60% de l’oreille droite et j’ai une confiance absolue en Mathieu (de toutes façons, je suis plus en sécurité avec lui à la manœuvre qu’avec moi-même, surtout si l’on considère les différents accidents dont j’ai été victime sur un deux roues, que ce soit en scooter ou à vélo). Bref, vu les pistes accidentées que nous allions devoir parcourir sur la Route Royale, je me suis confortablement installée dans le siège de l’autocar et me suis concentrée sur notre prochaine destination: Ouro Preto.
OURO PRETO

Quelques siècles avant notre arrivée, plus précisément en l’an 1698, de l’or fût découvert sur les flancs des collines et aux abords du Pic do Itacolomi, anciennement connu comme Pic do Itacorumi (dans le langage des indigènes, le tupi- guarani, cela signifie « garçon-pierre »). De cette découverte naquit une ville minière qui, 282 ans après sa fondation, serait inscrite au  Patrimoine Culturel de l’Humanité par l’Unesco (1980). Sa topographie est plane à 5%, vallonnée à 40% et montagneuse à 55%. A l’époque où les Bandeirantes (portugais et paulistanos) décidèrent de s’enrichir et de s’aventurer dans le coin, Ouro Preto s’appelait Vila Rica.
Antonio Dias et le Père Faria furent les précurseurs de la ruée vers l’or. En rétribution de la richesse conquise, on construisit des églises dont le style caractériserait l’architecture de la ville. Ouro Preto était dans la ligne de mire des modernistes de 22 (Mario de Andrade, Oswald de Andrade et son épouse Tarsila Amaral), révélant au monde l’art baroque et certains artistes comme Aleijadinho (de son vrai nom Antônio Francisco Lisboa, sculpteur et architecte portugais connu pour son travail sur de nombreuses églises au Brésil).

L’apogée de l’or eut lieu de 1730 à 1760. Entre guerres (Guerre des Emboabas, 1707, lutte pour la démocratie dans l’aventure de l’or), insurrections (Conjuration minière, 1789), événements historiques tragiques comme la pendaison de Tiradentes (Joaquim José Da Silva Xavier, icône de la conjuration minière) le déclin de l’eldorado survint vers 1763, et l’or redevint poussière. Avec ses 40 mille habitants, 30 ans après sa fondation, la ville reçut le patronyme de Cité impériale Ouro Preto (1883), et s’enorgueillît  d’être la capitale du Minas Gerais jusqu’en 1887. Aujourd’hui, elle compte 60 mille habitants, entre zone urbaine et zone rurale.  
Et nous voilà ici, Mathieu et moi, enfilant nos casques, déchargeant le tandem du bus à la gare routière de l’ancienne Vila Rica, prêts à revivre l’époque où le gouverneur de Rio de Janeiro, Artur de Sá e Menezes, lors d’une plaisanterie fortuite, mordit une pierre noire issue du Pico do Itacolomi et remarqua qu’à l’intérieur apparaissait une chose brillante et dorée.


"VACANCES" A OURO PRETO

Nos bagages sur le dos, nous montons sur le tandem et amorçons une petite descente – le vent nous fouette légèrement  le visage  nous susurrant le mot “vacances”. Afin de dénicher un hôtel pour la nuit, nous ferions une brève promenade sur deux roues à Ouro Preto. Direction le centre historique, nous croisons  quelques écoliers accompagnés par leurs instituteurs, ils doivent avoir une douzaine d’années, portent un uniforme et marchent en file indienne – à leur façon, bien sûr ! – sur un exigu trottoir. Quand ils nous voient dévaler les rues pavées, l’un d’eux  donne un coup de coude à son voisin et se met à crier : 
         — T’as vu mec, ils sont dingues!! – en nous pointant du doigt.

C’est suffisant pour déclencher le vacarme, la vingtaine d’écolier se met à crier avec une énergie puérile, nous faisant signe de la main. Tout en riant, ils nous lancent des phrases du genre : “hé, emmenez-moi avec vous !” “t’as vu, c’est pas  superman, mais ils sont quand même deux sur un vélo!”  “S’il y a de la place pour deux, il y en a pour trois, tu m’emmènes?”, et ils s’amusent de leurs propres blagues. Nous leur sourions,  donnons quelques coups de sonnette puis, au fur et à mesure que le vélo prend de la vitesse, ils disparaissent.

Le tandem attire beaucoup l’attention, surtout celle des enfants – leurs yeux brillent tandis qu’un sourire se fige sur leurs visages lorsqu’ils le voient passer – je crois qu’ils discernent dans ce type de bicyclette la possibilité de pédaler avec leur père en toute sécurité. Amitié et camaraderie. Vraiment? Si tel est le cas, il s’agit du même type de sentiment que je partage avec Mathieu. Nous laissant glisser sur des pentes sinueuses, nous apercevons les collines surplombant la vila rococó. Nous visitons une auberge, un peu à l’écart de l’agitation, charmante et rustique certes, mais les commodités y refoulent une odeur de fumier et de moisi. Nous renonçons.
A présent, nous remontons les côtes que nous venons de descendre, je n’avais jamais roulé sur une route aussi escarpée. Je songe à ce que j’ai lu dans l’un des carnets de route, celui d’Olinto il me semble, que la pire partie du trajet en terme d’altitude est justement la portion que nous allons faire demain - et moi qui peine lamentablement sur quelques  “grimpettes” de Ouro Preto! Mathieu a le sourire collé aux lèvres, j’en viens à penser qu’il risque de contracter une crampe aux joues. Mais oui, demain nous allons affronter les massifs de Serra de Itacolomi, à 1325m d’altitude ainsi que ceux de Serra d’Ouro Branco, culminant pour leur part à 1400 m d’altitude. Je ne savais pas encore que, parfois, les montées ne sont pas forcément suivies de descentes.  
Nous optons finalement pour un hôtel à côté de la gare routière. Il faudra se lever tôt demain pour tracer la route vers Conselheiro Lafaiete et nous pensons qu’il est approprié de rester proche de la sortie de la ville. Nous déchargeons tout. Une fois douchés et changés, je prends la caméra, Mathieu l’appareil photos et nous voilà partis faire un tour en ville. Le ciel s’ouvre  et le soleil apparait. Nous photographions et filmons la ville baroque, et quelques heures de marche plus tard, nous faisons halte dans un sympathique restaurant où une bande d’intellectuels-musiciens ouro-pretanos philosophent sur les partitions musicales. Après avoir déjeuné d’un saumon à la cannelle, nous nous rendons  au centre-ville afin d’acheter des vivres pour le voyage.  
Nous revenons à l’hôtel en fin d’après-midi sous des trombes d’eau. Une violente et bruyante pluie de grêlons de la taille d’une bille s’abat sur la région – nouveau nœud à l’estomac. Nous faisons  une sieste, puis nous préparons  nos affaires. Retour en ville où nous mangeons des pão de queijo (pains de fromage) tout en buvant un chocolat chaud, tout est délicieux. A l’hôtel, nous tombons littéralement de sommeil.  
1º JOUR DE PEDALAGE

Réveil à six heures du matin, Après la douche, nous prenons un copieux petit-déjeuner, fruits, fromage, café, tartines et jus de fruit.  Sans perdre une minute, mais sans aucun stress pour autant,  nous chargeons les bagages sur le   tandem. Sur le parking de l’hôtel, Mathieu attache solidement  les sacoches sur le porte-bagages, je me charge de remplir les gourdes d’eau. Silencieux, comme dans un rituel, nous ressentons une tendre euphorie en notre for intérieur, nos regards se croisent et nous savons exactement ce que chacun doit faire. Il nous faut une heure pour tout préparer.
Nous allons parcourir le Vieux Chemin de l’Or, route qui fût inaugurée par Fernão Dias Paes (Bandeirante pauliste connu comme « le chasseur des émeraudes) au XVIIème siècle lors de ses mirobolantes expéditions, qui pouvaient durer jusqu’à 95 jours, incluant des traversées maritimes à Santos et Rio de Janeiro. Le scénario à l’époque de la ruée vers l’or y était le suivant : des nobles de la cour à cheval, des mules surchargées de marchandises, des esclaves marchant à pied      et des muambeiros (sortes de marchands ambulants, mi-contrebandiers mi-escrocs) découvrant un chemin de traverse pour ne pas déclarer d’impôts à la couronne  – il y eût du trafic jusqu’au XIXème siècle.
Huit heures du matin, nous prenons la route de Conselheiro Lafaiete. Mathieu se guidera grâce au journal de José Maurício de Barros. Nous allons tenter de suivre le même chemin à l’aide également des conseils de cyclotouristes ouro-pretanos. Nous comptons beaucoup sur notre intuition et voulons aussi profiter du climat mineiro. Le temps est nuageux, nous ne savons pas vraiment ce que nous réserve le ciel.  A la sortie de Ouro Preto, nous rencontrons quelques “bikers” mineiros qui s’entrainent en vue d’un important championnat annuel de mountain bike, le « Iron Biker ». Nous échangeons quelques gentillesses puis nous poursuivons notre chemin.   
Au début, nous avons un sentiment étrange. Respirer de l’air pur est presque désagréable (nous habitons dans une ville de  20 millions d’habitants), mais en pédalant, peu à peu les poumons remplissent leur fonction, revigorante sensation de bien-être. Au bout de 10 km de route, je me dis : “C’est pas si difficile que ça !” Au vingt et unième kilomètre, le paysage ne change pas, nous sommes encore sur une large route asphaltée alors que nous devrions déjà être entrés dans le Minas par de petites routes, goudronnées certes mais étroites, que ni les bus ni les  camions n’empruntent, il semble qu’au lieu de nous diriger vers Mariana, nous n’allions vers Belo Horizonte, soit la direction opposée. 
Nous nous arrêtons dans un petit village au bord de la route où l’on nous confirme nos craintes. Un marchand du cru annonce que nous devons faire demi-tour - ajoutant que les ouro-pretanos sont peu enclins à aider les autres, une bande d’arrogants, j’vous jure ! – puis nous explique comment trouver le point de départ. Il nous faudrait pédaler 10 kilomètres de plus que prévu pour revenir sur nos pas, ce qui voulait dire au total 34 kilomètres hors-plan. Dont worry, baby! Pas un nuage dans le ciel, aucun signe de pluie, un vent frais et un soleil léger. Nous ne nous laissons pas incommoder par  le "détour", nous nous promenons.
Nous faisons donc demi-tour. Quelques kilomètres plus loin, nous pénétrons dans le Morro do Itacolomi. Finalement, les voilà ces fameuses collines ! Au début, elles paraissent faciles, mais je me rends vite compte qu’il n’y a pas beaucoup de ligne droite ou de descente, à vrai dire, il n’y en a quasiment pas. Les muscles de mes cuisses sont “rouillés”. Mathieu pédale ferme et moi, inévitablement, je l’accompagne. Mon corps tremble, « la corde de la contrebasse » se tend jusqu’au bord de la rupture lors d’escalades sans fin. Dans les montées, un tandem est plus lent qu’un vélo normal à une place.  
Sur ce trajet, nous ne dépassons pas les 4 Km/h km en montée, et atteignons 77 Km/h en descente. Quand la fatigue se fait sentir, et cela arrive quatre ou cinq fois, nous faisons un break de cinq minutes pour recharger les accus,  mangeant un fruit ou une barre énergétique, buvant beaucoup d’eau et laissant nos regards se perdre dans le paysage :

           — On y va ?     

           — Allez !     

      — Doucement mais sûrement. (Ceci allait devenir notre “leitmotiv” à chaque élévation de route en vue)

En fin de matinée, nous envahissons la Serra de Ouro Branco, à la végétation rampante. Avec notamment une variété d’orchidées, l’Orquídea Sophronitis Brevipendeculata que l’on ne peut trouver nulle part ailleurs dans le monde (tout cela me rappelle « Adaptation » le film des frères Kaufman dans lequel il y avait une ambiance, une atmosphère quasi identique).

A notre grand soulagement, les parties “pentues” sont maintenant derrière nous. Au pied d’une colline, nous apercevons une ferme qui parait également être un hôtel.  Nous avons consommé quatre litres d’eau,  les bidons sont à sec. La lumière du jour s’estompe, nous avons plus de sept heures de pédalage dans les jambes, et bien que n’étant qu’à deux kilomètres de distance de Ouro Branco, épuisés mais heureux, nous jugeons préférable de mettre un terme à notre périple  ici et de poursuivre le lendemain.
Devant l’hôtel, il y a un lac où deux garçons d’une dizaine d’années s’essayent au canoë, ils rament sans cesse mais ne font que tourner en rond, c’est hilarant, mais même ainsi ils s’amusent beaucoup. On entend leurs rires au loin. Nous descendons de vélo pour nous rendre à la réception. L’endroit s’appelle Hotel Fazenda Pé do Morro, très connu dans la région, sauf pour nous. Il y a de la place. Mais il n’y a pas de fatigue dans nos corps. J’ai même la sensation que mes jambes sont d’une fraicheur extrême.    
Aussi étrange que cela puisse paraitre, nous n’avons pas le corps endolori, nous nous sentons très bien – ce qui n’est pas si bizarre que ça en fait, quand on respecte les limites de son corps dans une aventure de ce type, en buvant beaucoup d’eau et s’alimentant bien, comme nous l’avons fait, tous les voyants sont au vert. Nous découvrons un petit coin de paradis situé entre les collines de Ouro Branco, où il semble que l’on peut toucher le ciel. 

La carte

La carte officielle de la route Royale (Estrada Real)

Journal du dimanche 13/08/05 - 79,89 km pédalés

De Ouro Branco à Carandai
A ce moment-là, nous sommes exactement à deux kilomètres de Ouro Branco et à 18km de Conselheiro Lafaiete. Mais aucune sensation de mission non accomplie ou de frustration ne s’empare de nous.  Nous revenons de la réception pour aller chercher nos bagages restés sur le tandem- il faut d’ailleurs signaler que nous n’avons eu aucune embûche avec lui, il a roulé sans broncher, Mathieu l’a construit à partir du cadre (arrière) d’un Scott GO cassé et a dessiné le cadre avant, l’équipant d’une suspension Cannondale Moto FR, d’un amortisseur DT Swiss SSD 210L à l’arrière, de freins avant XT disc d’un diamètre de 205 mm, freins arrière XT disc d’un diamètre de 160mm, d’un pédalier XT, d’un échangeur de vitesse SRAM X7 et de jantes technium et cubo XT.
Ce type de bicyclette, le Mountain Tandem doit être robuste, c’est un 2X2 (deux personnes au-dessus de deux roues). Dans notre cas, 20 kilos (poids du tandem) qui transportent 150 kilos (Mathieu, les bagages et moi). Nous débutons le rituel.  Détacher, décharger, charger. Dans la chambre, ouverture des bagages. Séparer ce qui est humide pour le faire sécher, laver les vêtements que nous avons porté dans la journée (nous avons chacun trois jeux de vêtements de rechange). Et finalement une bonne douche réparatrice! Nous nous changeons, chaussons nos tongs et sortons nous dégourdir les jambes. J’ai l’impression d’être à la ferme de mes grands-parents –bien qu’ils n’en aient jamais possédée aucune, une maison de campagne tout au plus – l’hospitalité « mineira » est fameuse, les gens ici adorent papoter.  
Il reste encore un peu du plat du jour cuisiné au four à bois. À cinq heures de l’après-midi, Mathieu et moi mangeons un plat de arroz e feijão(riz et haricots) ainsi qu’un chinchim de galinha. Trop bon !! Le plus drôle, c’est que je n’ai jamais fait grand cas du arroz e feijão, au contraire de la majorité de mes compatriotes, mais durant tout le voyage de la Route Royale, j’allais répéter sans cesse : “peu importe de dormir dans un taudis pourvu que je mange du riz avec des haricots”. Pour les fanatiques de régimes, croyez-moi, pédaler ne fait pas maigrir, il faut consommer beaucoup de carbohydrates, pour nous redonner rapidement de l’énergie. Je n’ai pas perdu ne serait-ce qu’un milligramme, je suis revenue avec la même bedaine que lorsque je suis partie.  Je n’ai pas grossi non plus ceci dit. Nous avons simplement gagné un peu de force musculaire, en particulier au niveau des cuisses.  
Nous terminons de déjeuner avant de profiter des dernières lueurs du jour pour faire des photos. Il y a quelques animaux dans la propriété : des chevaux, des perroquets, des poules. Un facétieux trio de canards marche à la queue leu leu, ils semblent se diriger partout et nulle part à la fois.  Le moment spécial de notre promenade est la chapelle de Santana. Ses ruines ont été mises dans des caisses vitrées en acier et c’est tout simplement ravissant !   Œuvre de l’architecte mineiro Éolo Maia (1942 /2002). Un brouillard épais  enveloppe les collines autour de nous pendant que le ciel se teinte d’orange. La lumière du jour est en train de se dissiper et nous considérons notre journée comme étant terminée. Il n’est pas encore neuf heures du soir que nous dormons déjà au son des grillons.  

2º jour DE PEDALAGE

Nous nous réveillons frais et dispos, sans aucune douleur musculaire. Nous procédons à notre cérémonial  matinal sous un soleil radieux, sans un nuage à l’horizon. Après la toilette, récupérer les vêtements, les accessoires, tout ranger, fermer les sacoches, remplir les bidons d’eau, séparer les barres de céréales. Excités par ce deuxième jour de pédalage, nous prenons un petit-déjeuner gargantuesque incluant plusieurs pão de queijo tous chauds sortis du four, des fruits, du fromage blanc, du pain, de la confiture, des gâteaux, du café et des jus de fruit. Mathieu, bien qu’il n’ait pas coutume de manger le matin, ne laisse pas sa part aux chiens.  
Nous attachons les bagages sur le tandem. Mathieu vérifie s’il est techniquement apte à nous emmener. Tout est parfait! En route. Prochaine destination: Fazenda Engenho Velho dos Cataguases. Mais avant d’y arriver, il nous faudra passer par beaucoup d’autres lieux. On est dimanche, et nous avons la ferme intention de profiter intensément du “jour de repos dominical” entre deux coups de pédale. Nous visitons la maison de  Tiradentes (sur la route de Ouro Branco), où les inconfidentes (conspirateurs) s’étaient réunis pour élaborer des idées révolutionnaires. Nous y voyons pour la première fois un gameleira,  arbre ayant la particularité de faire jaillir un liquide laiteux à la moindre entaille,  mais celui-ci est particulièrement célèbre pour avoir abrité les restes de la dépouille de   Tiradentes accrochés à ses branches en 1792. Les vautours et les hiboux montent la garde autour de cet arbre touffu, ils paraissent être « des habitués ». 
La journée nous promet 30% d’asphalte, la départementale que nous devons  emprunter, et les 70% restant de chemins en terre. Ce jour-là, nous allions apprendre à nos dépends que quand on est perdus dans le sertão mineiro, l’unique chance de s’en sortir est de rencontrer quelqu’un qui soit entièrement sobre, dans le cas contraire, le trajet peut être beaucoup plus long que prévu.  Vaille que vaille, nous parvenons à Conselheiro Lafaiete. Il n’existait pas, et peut-être n’existe-t-il toujours pas, de carte routière complète de la Route Royale, qui compte tout de même 117 municipalités. Nous demandons la direction de Queluzito – c’est le seul point de repère que nous ayons. 
Nous prenons donc la route départementale prévue sur notre itinéraire, pas la partie la plus sympathique du parcours, jusqu’à ce que l’on trouve le chemin de terre qui conduit à Fazenda do Engenho. Quelques kilomètres plus loin, avisant un petit groupe d’autochtones, nous décidons de faire une brève escale à Queluzito. Au centre du village, il y a une petite place où trône une énorme fontaine d’eau ainsi qu’une modeste église. Un dimanche midi plus que tranquille. Nous discutons avec quelques enfants “cyclistes” qui se montrent extrêmement curieux concernant notre embarcation, puis nous reprenons la route.  
Direction Prados, dans le Minas Gerais profond. Nous passons par de petits villages peuplés d’agriculteurs et, plus on s’enfonce, plus la terre devient rouge.  Au bord de la route,  nous voyons plusieurs fours en brique, on dirait des “igloos” en terre. Tout à coup, un oiseau non identifié surgit de nulle part au milieu de la route puis il disparait aussi vite qu’il est apparu. Intrigués, nous nous arrêtons. C’est un Cariamiforme, il y en a toute une bande qui marche sur un pré. Ils sont loin, on ne distingue que leurs ombres.  Nous décidons de poser pied à terre. En silence, nous les suivons à travers champ, un mètre au-dessus de la route.   
Mathieu sort l’appareil photo et la caméra. Au loin, les Cariamiformes traversent la route. Ils sont étranges mais très gracieux avec leur charmant panache sur la tête et leurs gambettes ultra fines. Selon Mathieu, il est très difficile de les photographier, au moindre mouvement brusque ils disparaissent  sans laisser de trace.  Pendant que mon mari part à la recherche de ces oiseaux fuyants,  j’ai ma dose “d’hallucinations”, une sensation de forte allégresse commence à s’emparer de moi. Ce serait donc ça la fameuse « euphorie du sportif » ? Endorphine et sérotonine?  Je donne un coup d´œil à 360 º. Forêt et terre. Terre et forêt. Rien de plus. Soudain, je vois une ombre sur la route.  La mienne ! Je ne peux pas m’empêcher de la filmer. Je danse en fredonnant une chanson improvisée jusqu’au retour de Mathieu.
Retour au tandem. Nous nous humectons la gorge, le climat est très sec. Caméra en main, nous repartons, espérant trouver un panneau ou bien quelqu’un susceptible de nous dire où nous sommes.  Nous ne savons pas encore que nous avons dévié de notre itinéraire.  Un vent froid se lève, les oiseaux s’envolent. Nous nous distrayons en observant quelques aigles sur les restes de vieux arbres morts, ils semblent se camoufler dans les troncs creux. Majestueux et immobiles. Le soleil décline, le jour commence à s’assombrir. Personne en vue. Pas la moindre maison, ferme ou troquet à l’horizon, aucun taxi à qui demander son chemin. Rien ! Silence absolu. Cela fait déjà 70 Km que nous roulons. La suite du voyage s’annonce compliquée. Pléonasme mis à part, difficile d’opter pour une direction que l’on ignore. Nous scrutons de tous les côtés. Nous nous regardons. Nous sommes perdus. Bel et bien perdus dans le sertão mineiro.
UNE NUIT A L’ HOTEL FAZENDA ESTALAGEM

Nous ne savons pas encore que quelques heures plus tard, notre seul objectif sera d’arriver....Arriver quelque part! N’importe où ! L’eau se raréfie, la nuit est sur le point de tomber, les piles des phares s’affaiblissent et il n’y a  aucune poésie dans tout cela.  Où sont donc les mineiros du sertão (arrière-pays) à quatre heures de l’après-midi un dimanche de fête des pères ? – se demande-t-on, lorsqu’un motard apparait venant dans notre direction, pilotant sa bécane à « tombeau ouvert »  Il ne remarque même pas  les gestes que je lui adresse et il s’évanouit aussitôt dans un nuage de poussière.  
Que faire ? Continuer à pédaler, au gré des couleurs, marron rougeâtre pour la terre, vert pour les champs et bleu pour le ciel. Il est cependant grand temps de savoir vers où se diriger car la nuit va tomber sans crier gare. Nos réserves d’eau s’amenuisent et je commence à être réellement épuisée. Mathieu quant à lui, garde son calme. La route couleur truffe nous guide. Au loin, un bruit dans le vent ravive nos espoirs. C’est l’homme à la moto, beaucoup moins pressé cette fois. Il refait le trajet en sens inverse car il a  perdu une pédale de son engin.
Nous le questionnons. Dans ses yeux, le rouge a gagné de l’espace sur le blanc. Il ne sait pas où se trouve la Fazenda Engenho do Cataguases, pas plus qu’il ne sait combien de doigts contient ma main. Pété comme un coing, il repart laissant derrière lui une forte haleine éthylique. Nous ne sommes pas plus avancés, mais à présent il y a une bifurcation devant nous– que nous reverrions d’ailleurs plus tard. Nous choisissons une direction au « am-stram-gram ». Nous n’avons pas de carte, à peine les indications sur la région dans les notes prises par  le cycliste José Mauricio de Barros.
Les magnifiques paysages du sertão mineiro sont toujours éblouissants mais nous ne les apprécions pas autant qu’auparavant. C’est encore agréable de pédaler sur des collines faites de légères montées et de descentes en pente douce, mais notre rythme est de plus en plus lent.  Nous réglons la vitesse sur “doucement mais sûrement” étudiant déjà des endroits propices pour camper. Nous possédons une très bonne tente. Mathieu commence à s’accommoder de l’idée. Moi, sans plus ! Mais ce dont nous avons besoin avant tout est de nous alimenter et nous hydrater.  
Au soir tombant, les oiseaux se taisent, on ne voit plus d’animaux. Nous avons l’impression de pédaler dans un labyrinthe quand, finalement, nous croisons un ange sur roues  sur le bas-côté de la route. Nous l’interrogeons sur la Fazenda dos Cataguases. Il ne connait pas. Nous demandons alors  s’il y a un endroit dans le coin où nous pourrions manger et passer la nuit. Son œil droit est rouge, mais dans son cas ce n’est pas dû à la gnôle locale- un insecte a percuté sa rétine alors qu’il pilotait sa moto.
Nous lui donnons un peu d’eau pour qu’il se nettoie les yeux. Il nous remercie et, après un temps de réflexion, nous indique un petit village à 18 km de là. Il dit que nous pourrons y trouver un lit et un repas simple dans la maison d’une dame appelée Dona Nena. Un vent froid commence à souffler. Mes narines coulent et celles de Mathieu aussi. La grippe s’approche à grands pas. Notre déjeuner a été réduit à trois barres énergétiques et un pão de queijo chacun, et pour plus de 70 km parcourus, cela représente peu de combustible.  
On tope les 18 km, conscients de la difficulté de pédaler dans la pénombre sur un chemin inconnu, mais « l’ange à moto »  se rappelle alors d’un autre endroit distant de 5 km. “J’crois qu’vous allez préférer, Z’êtes des gens biens, de la capitale” et il nous explique comment y arriver.  “... Vous faites demi-tour, vous suivez jusqu’au bout le chemin de “Jacarandeiras vous tournez à gauche, ensuite vous montez sur la droite,  vous descendez sur la gauche et c’est la première à droite...” Ma dyslexie n’a qu’à bien se tenir…En résumé: Demi-tour !
Huit kilomètres plus loin, il fait déjà nuit et nous avançons sans éclairage. Nous distinguons de faibles rais de lumière et quelque chose qui ressemble à une auberge au milieu de l’obscurité. Je descends de vélo et me dirige vers ce qui pourrait faire office de réception. Et c’en est une ! Bien que soulagée, je pense quand même  que le taulier abuse un brin de la situation quand il dit que nous avons de la chance et que grâce à une défection de dernière minute, une chambre “standard” nous attend pour la bagatelle de R$ 250,00 (4 fois plus que notre budget !). Pour ce prix, nous aurions également droit au diner et au petit-déjeuner.     
Il est environ huit heures du soir. Il y a  une musique  « axé » qui se mélange aux cris euphoriques des enfants. Nous n’avons pas idée de l’endroit où nous nous trouvons, ni ce à quoi il ressemble car il n’y a pratiquement pas d’éclairage à l’extérieur. C’est à prendre ou à laisser. Nous prenons !  Nous empruntons un chemin de pierre afin de nous rendre à notre chambre. La réceptionniste ouvre la porte du chalet, nous remet une brochure contenant des suggestions d’ "activités" que nous ne déchiffrerions que le lendemain matin.
Après 9h24m de pédalage intensif, c’est comme un rêve de trouver une chambre au milieu du sertão mineiro. Nous terminons la journée avec 79, 89 km au compteur - de l’hôtel Pé do Morro (Ouro Branco) jusqu’à l’hôtel Estalagem (Carandaí). Prendre une douche à ce moment-là équivaut pour nous à  se vautrer dans une baignoire remplie de champagne Cristal. Mathieu est exténué mais réconforté,     il a remis le compteur à zéro. Notre vitesse de pointe a culminé à 74 km/h alors que notre moyenne était de 8,4 km/h – une personne marchant d’un pas soutenu atteint 6 km/h.

Une fois décrassés et vêtus d’habits propres, c’est à peine croyable, nous ne nous sentons pas fatigués. Une savoureuse paresse s’empare de notre corps, et l’heure du diner a sonné. Plus d’une centaine de personnes sont attablées dans la salle du restaurant – impressionnant ! Ils n’ont pas bluffé à la réception, le monde entier s’est donné rendez-vous ici. Nous mangeons en 20 minutes. Peu avant vingt et une heure, le nez coulant et commençant à tousser, Mathieu et moi nous écroulons sur le lit. Nous avons eu une journée « hors-plan » !